Créée en 2013 à Jonquière par le Théâtre la Rubrique après avoir été mis en lecture au Québec et en France, La Liberté, un texte de Martin Bellemare, renaît à la salle Fred- Barry sous la direction de Gaétan Paré.
Dans un environnement scénographique minimaliste fait de quelques pans de murs, d’une chaise et d’un bureau, évolueront une mère, un père, un collègue de celui-ci ainsi qu’un fils de 18 ans, à l’aube de son premier emploi. Ce travail, que le garçon aborde d’un point de vue essentiellement pécuniaire, a tout de même de quoi étonner: le jeune homme sera réceptionniste dans un service gouvernemental de suicide assisté.
Pendaison, injection, immolation ou autre, la méthode est laissée à la discrétion du client. Si cliniques et hôpitaux offrent des services de procréation assistée, pourquoi ne pas intervenir aussi imperturbablement sur l’extinction de la vie que sur sa fabrication? L’État aura simplement jugé plus rentable de payer des fonctionnaires pour occire les gens qui sont las de la vie que d’entretenir ceux d’entre eux qui sont atteints de maux incurables, dont le plus redoutable de tous : le vieillissement.
Ainsi, ces médecins-mercenaires, sur scène, s’oignent assidûment les mains de désinfectant, tel un leitmotiv métaphorique des plus loquaces. Ponce Pilate aurait-il été l’oracle d’une civilisation si utilitariste que la mort d’un individu ne mérite pas même un froncement de sourcil si elle ne fait pas une foule de mécontents en obstruant une rame de métro à l’heure de pointe? Chose certaine, cette société si «évoluée» que les derniers retranchements de la vie humaine se voient bureaucratisés et aseptisés (protocoles, formulaires et files d’attente à l’appui), imaginée par Bellemare, semble bien réaliste pour du théâtre d’anticipation. Troublant.
Or chacun réagit à sa façon face à cette institutionnalisation du suicide. L’un des médecins, qui n’a pas de famille et qui consacre sa vie à enlever la leur à ceux qui n’en veulent plus, ne peut échapper aux questionnements existentiels et même spirituels. L’autre, guilleret devant l’éternel, entend montrer les ficelles du métier à son fils, voire fonder une entreprise avec lui dans l’éventualité où l’État privatiserait ce service aux citoyens. Pour lui, la liberté individuelle est encore plus sacrée que la vie et le choix de mettre un terme à celle-ci constitue un droit inaliénable de l’individu. Il croit aux services qu’il procure tel un Henry Morgentaler tenant tête, au siècle dernier, aux lobbyistes du mouvement pro-vie. Mais les convictions du protagoniste seront mises à l’épreuve de la plus abrupte des façons lorsque sa conjointe aura elle-même recours à ce service.
Il s’agit sans doute là, d’ailleurs, d’un aspect un peu plus faible du spectacle. Certes, l’arrivée de la mère dans les funeste bureaux gouvernementaux marque une rupture de ton assumée (exit l’humour noir qui parsemait jusque là les répliques) et si l’on accepte que l’histoire passe de pivot central au rang de prétexte à un échange de points de vue sur un sujet social aussi sensible et actuel que viscéral et universel, on appréciera l’intensité, la finesse, la concision et l’absence de didactisme des plaidoiries, livrées par une distribution tout à fait convaincante.
Par contre, pour ressentir pleinement ces déchirements familiaux, encore faudrait-il adhérer au postulat voulant qu’une mère aimante et attentionnée, telle que ce personnage est présenté, ait la cruauté d’aller s’inscrire auprès de son propre fils pour que soit mis fin à ses jours (après tout, comme on le rappelle à quelques reprises, il existe d’autres succursales offrant le même service). Et cela sans compter que cette nouvelle cliente désapprouve ouvertement cette ingérence de l’État dans l’intimité la plus profonde de l’individu ainsi que la déshumanisation de ces suicides à la chaîne
Il n’en demeure pas moins que La Liberté, malgré ce qui apparaît comme quelques invraisemblances au sein de sa trame narrative, nourrit l’intérêt du spectateur du début à la fin, le laissant en proie à un maelstrom de questionnements essentiels. Et on lui en sait gré.
Texte de Martin Bellemare. Mise en scène de Gaétan Paré. Une production du Collectif Ad hoc La Liberté, présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 24 octobre 2015.
Créée en 2013 à Jonquière par le Théâtre la Rubrique après avoir été mis en lecture au Québec et en France, La Liberté, un texte de Martin Bellemare, renaît à la salle Fred- Barry sous la direction de Gaétan Paré.
Dans un environnement scénographique minimaliste fait de quelques pans de murs, d’une chaise et d’un bureau, évolueront une mère, un père, un collègue de celui-ci ainsi qu’un fils de 18 ans, à l’aube de son premier emploi. Ce travail, que le garçon aborde d’un point de vue essentiellement pécuniaire, a tout de même de quoi étonner: le jeune homme sera réceptionniste dans un service gouvernemental de suicide assisté.
Pendaison, injection, immolation ou autre, la méthode est laissée à la discrétion du client. Si cliniques et hôpitaux offrent des services de procréation assistée, pourquoi ne pas intervenir aussi imperturbablement sur l’extinction de la vie que sur sa fabrication? L’État aura simplement jugé plus rentable de payer des fonctionnaires pour occire les gens qui sont las de la vie que d’entretenir ceux d’entre eux qui sont atteints de maux incurables, dont le plus redoutable de tous : le vieillissement.
Ainsi, ces médecins-mercenaires, sur scène, s’oignent assidûment les mains de désinfectant, tel un leitmotiv métaphorique des plus loquaces. Ponce Pilate aurait-il été l’oracle d’une civilisation si utilitariste que la mort d’un individu ne mérite pas même un froncement de sourcil si elle ne fait pas une foule de mécontents en obstruant une rame de métro à l’heure de pointe? Chose certaine, cette société si «évoluée» que les derniers retranchements de la vie humaine se voient bureaucratisés et aseptisés (protocoles, formulaires et files d’attente à l’appui), imaginée par Bellemare, semble bien réaliste pour du théâtre d’anticipation. Troublant.
Or chacun réagit à sa façon face à cette institutionnalisation du suicide. L’un des médecins, qui n’a pas de famille et qui consacre sa vie à enlever la leur à ceux qui n’en veulent plus, ne peut échapper aux questionnements existentiels et même spirituels. L’autre, guilleret devant l’éternel, entend montrer les ficelles du métier à son fils, voire fonder une entreprise avec lui dans l’éventualité où l’État privatiserait ce service aux citoyens. Pour lui, la liberté individuelle est encore plus sacrée que la vie et le choix de mettre un terme à celle-ci constitue un droit inaliénable de l’individu. Il croit aux services qu’il procure tel un Henry Morgentaler tenant tête, au siècle dernier, aux lobbyistes du mouvement pro-vie. Mais les convictions du protagoniste seront mises à l’épreuve de la plus abrupte des façons lorsque sa conjointe aura elle-même recours à ce service.
Il s’agit sans doute là, d’ailleurs, d’un aspect un peu plus faible du spectacle. Certes, l’arrivée de la mère dans les funeste bureaux gouvernementaux marque une rupture de ton assumée (exit l’humour noir qui parsemait jusque là les répliques) et si l’on accepte que l’histoire passe de pivot central au rang de prétexte à un échange de points de vue sur un sujet social aussi sensible et actuel que viscéral et universel, on appréciera l’intensité, la finesse, la concision et l’absence de didactisme des plaidoiries, livrées par une distribution tout à fait convaincante.
Par contre, pour ressentir pleinement ces déchirements familiaux, encore faudrait-il adhérer au postulat voulant qu’une mère aimante et attentionnée, telle que ce personnage est présenté, ait la cruauté d’aller s’inscrire auprès de son propre fils pour que soit mis fin à ses jours (après tout, comme on le rappelle à quelques reprises, il existe d’autres succursales offrant le même service). Et cela sans compter que cette nouvelle cliente désapprouve ouvertement cette ingérence de l’État dans l’intimité la plus profonde de l’individu ainsi que la déshumanisation de ces suicides à la chaîne
Il n’en demeure pas moins que La Liberté, malgré ce qui apparaît comme quelques invraisemblances au sein de sa trame narrative, nourrit l’intérêt du spectateur du début à la fin, le laissant en proie à un maelstrom de questionnements essentiels. Et on lui en sait gré.
La Liberté
Texte de Martin Bellemare. Mise en scène de Gaétan Paré. Une production du Collectif Ad hoc La Liberté, présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 24 octobre 2015.