Critiques

Ma mère est un poisson rouge : Le triomphe du rire

Suzane O’Neill

Le petit Xavier se trouve bien naïf d’avoir cru, lorsqu’il a mis le pied, surexcité, sur un bateau de croisière, que cette aventure inouïe marquerait ce jour comme étant le plus beau de sa vie. Ce sera en fait le plus sombre de sa courte existence, car son papa y laissera la vie. De retour chez eux, sa maman s’enferme dans sa chambre et remplit si bien celle-ci de larmes qu’on croit la voir se transformer en poisson rouge dans un bocal. Une prémisse bien triste qui donne pourtant lieu à un spectacle cocasse, dynamique et touchant.

ma-mere-est-un-poisson-rouge_photo_-suzane-oneillSuzane O’Neill

Marie-Christine Lê-Huu signe le texte et la mise en scène de Ma mère est un poisson rouge. Aussi bien en tant qu’interprète (ses rôles dans les séries jeunesse Cornemuse, puis Toc toc toc font pratiquement d’elle une Passe-Partout du troisième millénaire) qu’en tant qu’auteure (on lui doit les pièces pour jeune public Le Voyage et Une forêt dans la tête, en plus du spectacle pour adultes Jouliks, dont la narratrice est une fillette de 7 ans), elle est rompue à la sensibilité des enfants. Elle sait donc parfaitement comment faire voler le drame en éclats… de rire.

Ainsi, le décès du père et le repli sur soi de la mère ne seront abordés que du bout des lèvres, les échanges sur ces sujets étant systématiquement déviés vers des péripéties loufoques, des boutades ou des bouffonneries partagées par Xavier et ses deux amis, Imma et Mika. Sasha Samar excelle d’ailleurs à assurer cette détente comique omniprésente. Plus encore, sa présence scénique exceptionnelle de même que le charme désinvolte de son personnage – Mika, le petit voisin débrouillard, rigolo et taquin –, font en sorte qu’on ne voit, bien souvent, que lui sur scène. Il réussit même à donner vie à sa Babouchka, grand-mère muette et manifestement atteinte de la maladie d’Alzheimer, campée par une vieille radio, à la manière du théâtre d’objets.

Soutenir l’intérêt des petits

L’usage des accessoires et des éléments scénographiques polymorphes apporte beaucoup de magie à la production. Des boîtes de carton se transforment en édifices, une banderole décorative se mue en fil de fer et un dépliant publicitaire de croisière, filmé et retransmis en direct sur grand écran, devient un décor en bonne et due forme. Cette ingéniosité, de même que le ballet habilement chorégraphié coordonnant la manipulation de ces éléments aux propriétés multiples, participent largement à stimuler l’intérêt du spectateur jusqu’à la toute fin de la pièce.

ma-mere-est-un-poisson-rouge_2_photo_suzane-oneillSuzane O’Neill

Un autre procédé s’avère profitable auprès des jeunes de 6 à 10 ans auxquels est destiné le spectacle: la légère distanciation à laquelle a recours Mika, lorsqu’il réclame, par exemple, le privilège d’être sur scène alors que son personnage ne doit pas encore y être, prenant à partie le public en guise de complice. Là et ailleurs, les enfants rient beaucoup – et les adultes sourient de bonne grâce – face aux péripéties du trio d’enfants souvent livré à lui-même étant donné que la mort, la dégénérescence et la dépression leur ont dérobé leurs proches.

Est-ce que cela banalise les grands drames ordinaires de la vie? Disons plutôt que cela les dédramatise. Car il se peut qu’un grand-parent privé de repères cognitifs se perde dans la ville et qu’il faille aller à sa recherche. Il se peut qu’un parent vive un deuil qui l’ébranle et le rende momentanément moins disponible sur le plan émotif pour ses enfants. Il se peut aussi, hélas, qu’un parent meure. Mais la vie continue et lorsque Xavier aura vraiment besoin d’elle, sa maman sortira de son bocal de larmes pour venir lui prêter main forte. Et il ne s’agira pas là d’un deus ex machina, mais simplement de la vie qui reprend ses droits.

Ma mère est un poisson rouge

Texte et mise en scène: Marie-Christine Lê-Huu. Scénographie et accessoires: Anne-Marie Bérubé. Illustrations: Catherine Côté. Musique: Olivier Monette-Milmore. Éclairages: Jeanne Fortin-L. Avec Isabelle Lamontagne, Jean-François Pronovost et Sasha Samar. Une production du Théâtre de l’Avant-pays. À la Maison Théâtre jusqu’au 6 novembre 2016. Aux Gros Becs du 11 au 22 avril 2018.