Si c’est la mort qu’Andréane Leclerc et Dany Desjardins voulaient montrer dans Sang bleu, nul doute que le projet chorégraphique aura bifurqué. On découvre un terrarium plein de vie. Est-ce parce que, nus, les deux interprètes offrent leur chair orangée, surlignée de compositions fleuries, à la terre, aux mains, aux contorsions de leur animalité en voie d’humanisation? La question plane durant le spectacle.
Première scène. Derrière un écran blanc, deux personnages carnavalesques se croisent en échangeant une matière meuble, collante et élastique, de bouche-à-bouche. Ce feuillage en transformation respire. Dans cet univers vague et entre leurs ombres, le tissu vivant qui les relie est un follicule fibreux, une substance intercellulaire texturée. Deuxième scène. Deux reptiles, insectes ou crustacés – animaux au sang bleu, d’où le titre –, recouverts d’un touffu filet chevelu, ondulent face à face. Qui un mollet, qui une jambe, qui un dos, qui une fesse: les visages sont enrubannés de grands foulards. Mais ils se dépouillent, et, en costume fleuri d’Adam et Ève, tels que les ont peints les Cranach et Rubens, ils rampent jusqu’aux sièges des spectateurs et s’y installent. Une longue attente commence, sous une musique vrombissante de série télévisée.
Ensuite, l’un palpe l’autre longuement. Une angoisse plane. En touchant une bouche ouverte, un œil fermé, l’un agit sur le corps de l’autre; à l’impassibilité de l’un succède la perte de l’autre. La souffrance est minée. Est-on à l’aube de la vie ou à sa fin, dans cet univers baroque, faunesque ou plus primitif encore? Il est donné à voir ces corps sensuels, où fesses, formes, fleurs, foulards informes roulent et s’entremêlent, souples, lisses, plastiques. Étrangement bombées, ces araignées roses, acclimatées au biotope scénique. Au fond de la scène se joue bientôt une métamorphose, où l’homme écrase la femme, après qu’elle s’est elle-même amalgamée à lui. Des éclairages les sculptent, soulignant ce qu’une hybridation des espèces, par extension de chair, pourrait croiser dans une mutation de gènes. Cette drôle de composition n’opère nulle reproduction humaine, mais une créolisation organique, une agrégation de tissus vivants, élastiques et inconscients.
Par leurs déplacements, jeux de roulade et d’ondoiement, la femme se sauve de cette envahissante collusion, et une chasse sauvage reprend. L’homme se saisit d’elle et, comme font les singes captifs, il épluche une grenade sur son ventre, éparpillant les grains au milieu des pétales de fleurs. Elle se laisse pétrir, tandis que, corps sans tête, elle se fait méduse, agitant ses membres tentaculaires selon l’inspiration de sa jouissance baroque. Un violon grince à fendre l’âme. Ce poème scénique rappelle les inventions de Marie Chouinard, l’imaginaire primal de Benoît Lachambre, comme les créatures pétrifiées des bassins de Versailles. Il s’achève autour d’une source gélatineuse: les personnages s’abreuvent à un plasma nourricier. Ils se transfusent ce don originaire de la terre, explicitant ainsi leur relation osmotique par la sustentation nutritive de leur peau à peau.
Créateurs et interprètes: Andréane Leclerc et Dany Desjardins. Son: Olivier Girouard. Éclairages: Rasmus Eeg Sylvest. Conseillère à la dramaturgie: Nathalie Claude. Costumes: Thierry Huard. Une coproduction de la Chapelle, du Studio 303, de Nadère arts vivants et de Dany Desjardins. À la Chapelle jusqu’au 2 mars 2018.
Si c’est la mort qu’Andréane Leclerc et Dany Desjardins voulaient montrer dans Sang bleu, nul doute que le projet chorégraphique aura bifurqué. On découvre un terrarium plein de vie. Est-ce parce que, nus, les deux interprètes offrent leur chair orangée, surlignée de compositions fleuries, à la terre, aux mains, aux contorsions de leur animalité en voie d’humanisation? La question plane durant le spectacle.
Première scène. Derrière un écran blanc, deux personnages carnavalesques se croisent en échangeant une matière meuble, collante et élastique, de bouche-à-bouche. Ce feuillage en transformation respire. Dans cet univers vague et entre leurs ombres, le tissu vivant qui les relie est un follicule fibreux, une substance intercellulaire texturée. Deuxième scène. Deux reptiles, insectes ou crustacés – animaux au sang bleu, d’où le titre –, recouverts d’un touffu filet chevelu, ondulent face à face. Qui un mollet, qui une jambe, qui un dos, qui une fesse: les visages sont enrubannés de grands foulards. Mais ils se dépouillent, et, en costume fleuri d’Adam et Ève, tels que les ont peints les Cranach et Rubens, ils rampent jusqu’aux sièges des spectateurs et s’y installent. Une longue attente commence, sous une musique vrombissante de série télévisée.
Ensuite, l’un palpe l’autre longuement. Une angoisse plane. En touchant une bouche ouverte, un œil fermé, l’un agit sur le corps de l’autre; à l’impassibilité de l’un succède la perte de l’autre. La souffrance est minée. Est-on à l’aube de la vie ou à sa fin, dans cet univers baroque, faunesque ou plus primitif encore? Il est donné à voir ces corps sensuels, où fesses, formes, fleurs, foulards informes roulent et s’entremêlent, souples, lisses, plastiques. Étrangement bombées, ces araignées roses, acclimatées au biotope scénique. Au fond de la scène se joue bientôt une métamorphose, où l’homme écrase la femme, après qu’elle s’est elle-même amalgamée à lui. Des éclairages les sculptent, soulignant ce qu’une hybridation des espèces, par extension de chair, pourrait croiser dans une mutation de gènes. Cette drôle de composition n’opère nulle reproduction humaine, mais une créolisation organique, une agrégation de tissus vivants, élastiques et inconscients.
Par leurs déplacements, jeux de roulade et d’ondoiement, la femme se sauve de cette envahissante collusion, et une chasse sauvage reprend. L’homme se saisit d’elle et, comme font les singes captifs, il épluche une grenade sur son ventre, éparpillant les grains au milieu des pétales de fleurs. Elle se laisse pétrir, tandis que, corps sans tête, elle se fait méduse, agitant ses membres tentaculaires selon l’inspiration de sa jouissance baroque. Un violon grince à fendre l’âme. Ce poème scénique rappelle les inventions de Marie Chouinard, l’imaginaire primal de Benoît Lachambre, comme les créatures pétrifiées des bassins de Versailles. Il s’achève autour d’une source gélatineuse: les personnages s’abreuvent à un plasma nourricier. Ils se transfusent ce don originaire de la terre, explicitant ainsi leur relation osmotique par la sustentation nutritive de leur peau à peau.
Sang bleu
Créateurs et interprètes: Andréane Leclerc et Dany Desjardins. Son: Olivier Girouard. Éclairages: Rasmus Eeg Sylvest. Conseillère à la dramaturgie: Nathalie Claude. Costumes: Thierry Huard. Une coproduction de la Chapelle, du Studio 303, de Nadère arts vivants et de Dany Desjardins. À la Chapelle jusqu’au 2 mars 2018.