Performance multifacette et non linéaire, finalement très touchante, physiquement et moralement exigeante, Genderf*cker propose une expérience d’exploration du genre par la déconstruction des stéréotypes masculins et féminins.
Comment se retrouver soi-même lorsque le regard de l’autre impose une image normalisante à laquelle on ne s’identifie pas? Pascale Drevillon part d’un constat : le genre est attribué à une personne par une autre, dès la naissance, de manière médicale et décisive, en fonction du sexe, particulièrement le sexe masculin. De cette décision parfois violente ou aléatoire, dans laquelle je n’ai aucun choix, naît la difficulté par la suite de se réapproprier son propre corps et sa propre identité complexe, non pas pour l’autre, mais bien pour soi.
Lors de l’entrée dans la salle, le regard est tout de suite attiré par cette forme humaine assise sur une chaise au milieu de la pièce. L’artiste, complètement embaumée dans du nylon recouvert de cellophane, jambes scellées, mains recroquevillées sur la poitrine, visage entièrement recouvert, se propose au regard comme un objet d’étude, une sculpture brute plutôt qu’une personne en chair et en os. On pense à l’œuvre en devenir, au bloc de pierre en attente d’être taillé ; on pense aussi à la chrysalide. Les reflets brillants des éclairages sur la pellicule froissée et réfléchissante rappellent certaines œuvres de David Altmejd.
Lentement, très lentement, le corps s’anime, par la respiration d’abord, puis par le geste qui cherche, de plus en plus frénétiquement, à percer la coque de plastique qui l’enserre. Ce lent début sert de mise en abyme à toute la performance. On comprend qu’il s’agira de se défaire de ce qui étouffe, de préciser qui l’on est, de revenir au plus près de soi par des chemins détournés, d’abandonner, au fur et à mesure, les clichés. Toucher, sous le fard, la peau, sous la représentation, l’être.
Explorant le masculin, l’androgyne, puis le féminin, Pascale Drevillon passe beaucoup de temps à sa table de maquillage, vêtant, mimant, puis ôtant les différentes couches de son identité. Ébauche d’elle-même, visage en page blanche, elle commence par se maquiller en homme macho (barbe, jeans, chemise à carreaux), puis en androgyne gothique (collier de chien, bottes à semelles compensées, cuir noir), puis en femme fatale (corset, porte-jarretelles, perruque), avant le dénouement final. Une caméra placée à côté de son miroir projette sa figure en gros plan sur le mur derrière elle ; Drevillon joue avec elle, l’utilise comme un micro, détaille des parties de son corps, y essaie des œillades et des attitudes.
À travers ce dispositif, le public a l’impression d’être scruté par elle, alors que c’est bel et bien le public qui la scrute, elle, dans ses gestes les plus intimes et sous tous les angles, au cours des séances d’essayage ou de maquillage durant lesquelles, il est vrai, on peut trouver le temps long. C’est que tout cela prend du temps : le changement arrive par petites touches, par accumulation, sans jamais aboutir à une image fixe. Différents éléments de costume sont disposés autour de la performeuse, au fur et à mesure de son évolution, par son assistante, régisseuse de plateau et porteuse de caméra, Andréanne Samson, dont les entrées et sorties rythment la performance.
Il y a de nombreuses facettes à ce spectacle qui se déploie entre jeu d’actrice, photographie, et projection vidéo d’archive et en direct. Très peu de texte, du moins pour Drevillon, mais une panoplie de voix autres (en voix hors champ, en textes projetés), celles de personnes l’ayant inspirée, depuis la vedette de Youtube, Ryan Cassata, jusqu’à la philosophe Judith Butler en passant par le chanteur Pete Burns, qui ont pour effet de multiplier les points de vue et de démontrer l’universalité, mais aussi la nécessité de ces questionnements complexes, intimes, et de leur déploiement dans la sphère publique.
« 75 % de la population ne connaît pas de personne trans, alors voilà je tenais à vous rencontrer pour vous dire que je suis une vraie personne », déclare la performeuse aux personnes restantes, quelques minutes seulement après la fin du spectacle. Un rappel malheureusement nécessaire que de la méconnaissance naît trop souvent le jugement et la violence.
Un spectacle de Pascale Drevillon et Geoffrey Gaquère. Création et performance : Pascale Drevillon. Mise en scène : Geoffrey Gaquère. Performance et régie plateau : Andréanne Samson. Scénographie : Léa Pennel. Lumières : Cédric Delorme-Bouchard. Vidéo : Julien Blais. Chorégraphie : Mélanie Demers. Musique : Le Bleu (Nicolas Basque et Adèle Trottier-Rivard). Coproduction : Festival TransAmériques. Présentation en collaboration avec l’Agora de la danse. Présenté à l’Espace Orange de l’Édifice Wilder, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 3 juin 2019.
Performance multifacette et non linéaire, finalement très touchante, physiquement et moralement exigeante, Genderf*cker propose une expérience d’exploration du genre par la déconstruction des stéréotypes masculins et féminins.
Comment se retrouver soi-même lorsque le regard de l’autre impose une image normalisante à laquelle on ne s’identifie pas? Pascale Drevillon part d’un constat : le genre est attribué à une personne par une autre, dès la naissance, de manière médicale et décisive, en fonction du sexe, particulièrement le sexe masculin. De cette décision parfois violente ou aléatoire, dans laquelle je n’ai aucun choix, naît la difficulté par la suite de se réapproprier son propre corps et sa propre identité complexe, non pas pour l’autre, mais bien pour soi.
Lors de l’entrée dans la salle, le regard est tout de suite attiré par cette forme humaine assise sur une chaise au milieu de la pièce. L’artiste, complètement embaumée dans du nylon recouvert de cellophane, jambes scellées, mains recroquevillées sur la poitrine, visage entièrement recouvert, se propose au regard comme un objet d’étude, une sculpture brute plutôt qu’une personne en chair et en os. On pense à l’œuvre en devenir, au bloc de pierre en attente d’être taillé ; on pense aussi à la chrysalide. Les reflets brillants des éclairages sur la pellicule froissée et réfléchissante rappellent certaines œuvres de David Altmejd.
Lentement, très lentement, le corps s’anime, par la respiration d’abord, puis par le geste qui cherche, de plus en plus frénétiquement, à percer la coque de plastique qui l’enserre. Ce lent début sert de mise en abyme à toute la performance. On comprend qu’il s’agira de se défaire de ce qui étouffe, de préciser qui l’on est, de revenir au plus près de soi par des chemins détournés, d’abandonner, au fur et à mesure, les clichés. Toucher, sous le fard, la peau, sous la représentation, l’être.
Explorant le masculin, l’androgyne, puis le féminin, Pascale Drevillon passe beaucoup de temps à sa table de maquillage, vêtant, mimant, puis ôtant les différentes couches de son identité. Ébauche d’elle-même, visage en page blanche, elle commence par se maquiller en homme macho (barbe, jeans, chemise à carreaux), puis en androgyne gothique (collier de chien, bottes à semelles compensées, cuir noir), puis en femme fatale (corset, porte-jarretelles, perruque), avant le dénouement final. Une caméra placée à côté de son miroir projette sa figure en gros plan sur le mur derrière elle ; Drevillon joue avec elle, l’utilise comme un micro, détaille des parties de son corps, y essaie des œillades et des attitudes.
À travers ce dispositif, le public a l’impression d’être scruté par elle, alors que c’est bel et bien le public qui la scrute, elle, dans ses gestes les plus intimes et sous tous les angles, au cours des séances d’essayage ou de maquillage durant lesquelles, il est vrai, on peut trouver le temps long. C’est que tout cela prend du temps : le changement arrive par petites touches, par accumulation, sans jamais aboutir à une image fixe. Différents éléments de costume sont disposés autour de la performeuse, au fur et à mesure de son évolution, par son assistante, régisseuse de plateau et porteuse de caméra, Andréanne Samson, dont les entrées et sorties rythment la performance.
Il y a de nombreuses facettes à ce spectacle qui se déploie entre jeu d’actrice, photographie, et projection vidéo d’archive et en direct. Très peu de texte, du moins pour Drevillon, mais une panoplie de voix autres (en voix hors champ, en textes projetés), celles de personnes l’ayant inspirée, depuis la vedette de Youtube, Ryan Cassata, jusqu’à la philosophe Judith Butler en passant par le chanteur Pete Burns, qui ont pour effet de multiplier les points de vue et de démontrer l’universalité, mais aussi la nécessité de ces questionnements complexes, intimes, et de leur déploiement dans la sphère publique.
« 75 % de la population ne connaît pas de personne trans, alors voilà je tenais à vous rencontrer pour vous dire que je suis une vraie personne », déclare la performeuse aux personnes restantes, quelques minutes seulement après la fin du spectacle. Un rappel malheureusement nécessaire que de la méconnaissance naît trop souvent le jugement et la violence.
Genderf*cker
Un spectacle de Pascale Drevillon et Geoffrey Gaquère. Création et performance : Pascale Drevillon. Mise en scène : Geoffrey Gaquère. Performance et régie plateau : Andréanne Samson. Scénographie : Léa Pennel. Lumières : Cédric Delorme-Bouchard. Vidéo : Julien Blais. Chorégraphie : Mélanie Demers. Musique : Le Bleu (Nicolas Basque et Adèle Trottier-Rivard). Coproduction : Festival TransAmériques. Présentation en collaboration avec l’Agora de la danse. Présenté à l’Espace Orange de l’Édifice Wilder, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 3 juin 2019.