Critiques

Freeze-up – sur les routes de l’exil : L’appel du territoire

Virginie Hamel

À l’arrivée de l’hiver, la population de la rive ouest de la ville de Dawson, au Yukon, se voit isolée pendant plusieurs jours, voire des semaines, entre le moment où le traversier est retiré des eaux et où le fleuve Yukon est assez gelé pour y aménager un pont de glace. Les habitant·es de ce secteur doivent donc prévoir assez de vivres et de bois pour survivre à l’isolement et au froid en attendant le « freeze-up » (ou le « break-up », au printemps). Avec le réchauffement climatique, les délais sont de plus en plus longs et incertains, puisque les eaux gèlent et dégèlent au rythme des températures en dents de scie. Pourquoi choisir une existence aussi ardue, aussi singulière, aussi éloignée de ce que la vie moderne peut offrir ? Voilà la question sur laquelle se sont penché·es l’autrice et comédienne Marie-Pier Lagacé et le Collectif du Trottoir.

Initialement censée être présentée cet automne, au Théâtre Premier Acte, la pièceFreeze-up – sur les routes de lexil s’est vue transformée en balado en attendant de pouvoir se déployer sur scène. C’est donc un hybride mêlant le radio-théâtre et le documentaire qui nous est offert pour exposer le travail de recherche et de réflexion effectué autour du sujet : l’exil au Yukon.

D’abord basée sur les expériences des comédien·nes Marie-Pier Lagacé et Christian Michaud, l’œuvre va également à la rencontre d’autres expatrié·es pour essayer de cerner le portrait-type de l’humain·e établi·e si loin de son lieu de naissance ainsi que les raisons qui le ou la poussent à embrasser des conditions de vie si féroces. Sont abordées les questions de quête de soi, de marginalité, d’obsession du territoire dans ce qu’il a de mythique, de vie hors du temps (ce qui, en contexte pandémique, prend une nouvelle saveur). On réfléchit sur les fondements de l’identité, tout en faisant un parallèle avec ce qui constitue l’essence des Yukonnais·es.

Comme il s’agit d’une baladodiffusion, on prête attentivement l’oreille à la conception sonore (Martin Poirier à la musique, Yves Dubois au montage), à la réalisation (Marie-Ève Chabot Lortie et Simon Lemoine) et au mixage. Si la facture est efficace et fort jolie (le port du casque d’écoute en exacerbe les points forts), trop rares sont les moments où on entend les bruits caractéristiques du territoire, qui l’aideraient à prendre vie dans notre imaginaire. De la même façon, avec autant d’informations à l’intérieur d’un maigre 50 minutes, et si poétique soient certaines envolées, les notions d’espace tant évoquées sont évacuées par la forme. Le Collectif du Trottoir nous offre avec Freeze-up – sur les routes de lexilune promesse quant aux possibles de sa démarche, un échantillon donnant à espérer un format un peu plus long qui permettrait d’aller au fond des thèmes qu’il explore ou, mieux encore, une série.

Freeze-up – sur les routes de l’exil – Baladodiffusion

Texte : Marie-Pier Lagacé. Réalisation : Marie-Ève Chabot Lortie et Simon Lemoine. Voix : Marie-Pier Lagacé et Christian Michaud. Musique : Martin Poirier. Montage sonore : Yves Dubois. Conception du visuel : Émile Beauchemin et Marten Berkman. Une production du Collectif du Trottoir disponible sur le site du Théâtre Premier Acte jusqu’au 5 mai 2021.

Rose Normandin

À propos de

Elle a été collaboratrice culturelle au Voir, au 24 images et aux Méconnus. Elle publie aussi parfois de la fiction. Quand elle n'écrit pas, elle est musicienne.