Entrevues

Pandémie : Le yoyo des reports et des annulations

© Courtoisie

Au moment où des spectacles prennent ou reprennent l’affiche, plusieurs autres ont été abandonnés depuis le début de la pandémie. Il s’agit de mois, si ce n’est d’années de travail qui s’envolent en fumée, sans assurance d’une éventuelle présentation.

À l’instar de plusieurs collègues, le dramaturge Larry Tremblay a connu une année décourageante en 2020 : une création annulée, deux autres reportées et deux tournées arrêtées en plein vol. En confinement, il a cependant poursuivi l’écriture d’une nouvelle pièce, Coup de vieux. « J’avais une année extraordinaire, mais bon… Je ne suis pas déprimé, juste au ralenti », confie-t-il.

Dans le cadre du 50e anniversaire de l’UQAM, il a écrit 37 solutions qui devait être créée par les étudiant·es de l’École supérieure de théâtre dans une mise en scène de Philippe Cyr. « Ce sont 37 courtes scènes qui se terminent toutes par un meurtre, comme si la violence était une solution. C’est une pièce extrêmement ludique qui peut être jouée par autant de comédien·nes que l’on souhaite. Le spectacle n’a jamais eu lieu. »

L’écrivain, qui a enseigné pendant 30 ans à l’UQAM, craint l’engorgement à venir dans les théâtres, ce qui ne pourra qu’être nuisible à la relève. « L’annulation est une grande blessure pour tout le monde, surtout pour les jeunes. Les finissant·es n’ont jamais fini d’une certaine façon. J’ignore où ils et elles en sont, d’ailleurs, puisque la cohorte qui les suit est déjà sortie. »

L’opéra L’Orangeraie, version lyrique de son propre roman (aussi adapté au théâtre en 2016), qui devait être présenté au Monument-National en octobre dernier, a été reporté à l’automne prochain. En raison de la crise sanitaire, il n’y aucune certitude là non plus.

« Ça commence à me peser, habitué que je suis à un certain rythme, une certaine frénésie. Je manque de stimulation. Ma vie était contrebalancée par les voyages, mais, là, je ne vois personne. En ce moment, je cherche une fin à Coup de vieux. J’avais commencé à écrire la pièce avant, mais la pandémie m’a bloqué. Comme si le texte était trop dans l’actualité. Il prend un sens très lourd. »

Son Abraham Lincoln va au théâtre, qui devait prendre l’affiche au TNM, a été transformé en laboratoire webdiffusé. La pièce devrait être créée maintenant en… 2023 !

Du côté de la danse

Le milieu de la danse a été tout autant affecté en 2020. La chorégraphe et danseuse Anne Plamondon a vu sa création Seulement toi être annulée cinq jours avant la première, il y a un an. « C’était surréaliste, dit-elle. On vivait une poussée d’adrénaline avec des journées de 10 heures. Cela représente deux ans de travail avec les demandes de subventions, les ententes avec les diffuseurs, la recherche et la création. Comme danseuse, je n’avais manqué qu’un seul spectacle dans ma carrière à cause d’une foulure. »

Après cet épisode, Anne Plamondon ne tenait plus en place chez elle. « J’ai été hyperactive pendant trois semaines à la maison. Je travaille avec le corps et ne pouvais pas juste rester à ne rien faire. Je devais continuer à bouger, alors je faisais plein de choses avec ma fille. »

Une tournée du même spectacle, qui devait avoir lieu ce printemps, a été annulée pour ce duo mettant aussi en vedette l’Américain James Gregg. Seulement toi devrait normalement prendre l’affiche dans un an à l’Usine C. À condition que la situation sanitaire s’améliore et que s’ouvre la frontière canado-américaine.

« Je me demande si elle va vivre, la pièce. Plus le temps avance, plus je suis ailleurs sur le plan créatif. Je commence à réfléchir à autre chose. La vie a changé, mes pensées ne sont plus les mêmes. Inévitablement, ça va affecter les créations à venir. Mais je ne l’ai pas abandonnée grâce à l’appui des partenaires. Si ça marche à l’Usine C, ça fera deux ans que ça devait être lancé. C’est hallucinant. »

© Gunther Gamper

Créé en pandémie, annulé en pandémie

Au Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant et Louis-Karl Tremblay avaient préparé un spectacle pour janvier 2021 qui respectait la distance préventive sur scène malgré un sujet qui appelait la proximité des artistes. Amours propres était constitué de 15 extraits de textes de divers·es auteurs et autrices, de Molière à Catherine Chabot en passant par Lars Noren et Evelyne de la Chenelière, traitant de la passion et du désir.

« On a réuni six interprètes jeunes et plus aguerri·es qui se connaissaient peu, raconte le metteur en scène. Cela a donné lieu à une rencontre enrichissante. Ça nous a fait beaucoup de bien de se retrouver dans une salle répétition avec un projet commun. C’était le bon moment pour le faire. Nous utilisions même la pièce Unity (1918) [écrite en 2002 par le dramaturge canadien Kevin Kerr] sur la grippe espagnole parce que les personnages portaient des masques. »

La troupe a fait tout le travail jusqu’à la première… annulée en raison du reconfinement de l’automne. Le spectacle a été capté en vidéo, mais ne sera jamais diffusé en raison, entre autres, des droits d’auteur. « C’était du “ici, maintenant”. Avec ce collage, on posait les questions : qui sommes-nous, où sommes-nous et à quoi rêvons-nous en ce moment précis de nos vies ? Je ne vois pas la pertinence de le présenter en saison régulière. On songe plutôt à un documentaire qui laisserait une trace et montrerait ce qu’on a vécu comme créateurs et créatrices. »