Critiques

Boîte d’allumettes : Faire jaillir des étincelles

© Stéphane Bourgeois

La reprise du théâtre jeune public à Québec est lancée avec Boîte d’allumettes, un parcours tout feu tout flamme qui convie théâtre, chanson, installation et émotion, dans la caserne Dalhousie. En investissant les trois étages et demi du bâtiment – qui sera bientôt rénové de fond en comble pour devenir La Caserne – scène jeune public – Les Gros Becs et Nuages en pantalon offrent une occasion en or aux spectateurs et spectatrices de découvrir les lieux, tout en rallumant la flamme de l’art vivant.

Les parcours, en théâtre jeunesse, se font rares, et, pourtant, on n’imagine pas de meilleure manière de stimuler le corps et l’attention des enfants qu’en gambadant d’une scène à l’autre. Celui-ci est particulièrement intéressant, puisqu’il nous fait descendre sous la salle de spectacle, grimper des escaliers en colimaçon, marcher sur une passerelle et passer sur le toit de l’ancienne caserne qui fût la maison de Robert Lepage et de sa compagnie Ex Machina, avant qu’il et elle ne s’installent au Diamant.

Deux bulles familiales, qui se suivront pendant tout le parcours, assistent à deux mètres de distance à chaque tableau. Ça commence avec « Nütfürkidzz » (à lire à haute voix), où Laurence Champagne déplace des allumettes géantes pour construire une table, un feu de joie, une clôture, comme si elle manipulait un jeu de Mikado plus grand que nature. Armée d’un harmonica et de sa voix, elle chante une complainte nostalgique aux idées qui s’embrasent. L’hymne retentit à intervalles réguliers pour marquer les changements d’un tableau à l’autre, et nous accompagne pendant toute la visite.

Numéro musical hautement réjouissant, « La Maison est en feu » présente un couple, incarné par Patrick Ouellet et Monika Pilon, qui enchaîne les prestations endiablées de classiques kitsch comme Feu feu joli feu et L’Incendie à Rio en buvant des laits frappés, pendant que leur maisonnette dégage de plus en plus de fumée. Les deux interprètes donnent tout ce qu’il et elle ont. Monika Pilon est particulièrement hilarante avec ses chorégraphies déjantées. Reprenant son souffle avec des masques à oxygène, le duo termine son tour de chant par Pendant que les champs brûlent, un blues pleinement investi, qui consacre l’absurdité de leur inaction et de leur aveuglement volontaire devant la disparition imminente de leur logis.

© Stéphane Bourgeois

On descend ensuite dans les entrailles du théâtre pour trouver le capitaine Laflamme (Vincent Champoux) qui s’ennuie ferme dans la salle de séjour des pompiers depuis que les mesures de prévention de sa collègue Anna Sauvé (Marie-Hélène Lalande) ont rendu les incendies rarissimes. Les lamentations élaborées et longuettes du chef, de même que les exercices physiques dirigés par la pompière, retiennent moins notre attention que les nombreux clins d’œil scénographiques au feu (chaussettes aux motifs de flammes, casse-tête et peinture à numéros montrant des incendies célèbres…).

Tout en haut de l’escalier en colimaçon, on se trouve devant « Le Cro-Magnon show », où un animateur cravaté joué par Maxime Perron reçoit l’homme ayant découvert le feu (Francis Julien). Le tout se déroule dans une télévision géante où l’écran (un plexiglas) assure une barrière entre acteurs et spectateurs et spectatrices dans cet espace exigu. Vêtu de fourrures et couvert de boue, l’homme raconte comment il en est venu à faire jaillir une flamme en frottant ensemble des bouts de bois. Un doublage imitant à merveille le ton des séries documentaires crée un effet comique, qui culminera par une épreuve, puis par une séance de cabotinage aux dépens du pauvre homme de Cro-Magnon.

Le ton change complètement pour le tableau « C’est ainsi que la lumière jaillit », où on franchit, dans une pièce sombre, plusieurs portails aux surfaces réfléchissantes. Un rideau s’ouvre sur une chanteuse qui brille de mille feux sous une boule disco : une flamme, jouée par Valérie Laroche, qui chante des statistiques et des explications scientifiques sur la composition du soleil et sur sa future extinction. La voix modifiée électroniquement, les lumières aveuglantes, le texte complexe dont on ne saisit que des bribes et le côté plus performatif du tableau causeront peut-être un léger choc à certains jeunes enfants. La saynète a toutefois l’intérêt de contrebalancer le pittoresque et le comique des premiers tableaux avec une énergie intersidérale pleinement assumée.

On passe en vitesse sur le toit, qui accueillait du temps d’Ex Machina un jardin zen, pour entrer dans un espace converti en grenier où les meubles, les photos et les souvenirs s’accumulent pêle-mêle. En s’approchant, on découvre, dans une boîte rouge et vitrée évoquant les cases où se trouve le matériel (hache, boyaux, etc.) pour combattre les incendies dans les endroits publics, une vieille dame, jouée par Véronique Aubut. L’image est frappante et rappelle tout de suite les personnes âgées confinées dans leurs résidences et dans les CHSLD pendant la dernière année. Vive et bienveillante, plantant ses yeux dans les nôtres, en nous parlant d’elle, de ses enfants et de ses petits-enfants, elle nous enjoint de vivre, en mordant pleinement dans l’existence. À sa cheville pend une étiquette, marquant sa date d’expiration. Ce tableau final est d’une poésie et d’une touchante richesse. Il clôt l’expérience théâtrale sur une note vibrante, qui nous rappelle en quoi le théâtre vivant nous a manqué.

Boîte d’allumettes

Idéation et mise en scène : Olivier Normand. Textes : Isabelle Hubert et Olivier Normand. Décors : Claudia Gendreau. Costumes : Julie Morel. Environnement sonore : Josué Beaucage. Éclairages : Elliot Gaudreau. Assistance à la mise en scène : Elisabeth Routhier. Direction de production : Caroline Martin. Avec Véronique Aubut, Laurence Champagne, Vincent Champoux, Francis Julien, Marie-Hélène Lalande, Valérie Laroche, Patrick Ouellet, Maxime Perron et Monika Pilon. Une production de Nuages en pantalon – compagnie de création et du Théâtre jeunesse Les Gros Becs, présentée à la caserne Dalhousie jusqu’au 30 mai 2021.