Critiques

Qui veut la peau d’Antigone ? : La force tranquille d’une guerrière

© Jules Bédard

Figure mythique de la Grèce antique, Antigone est reconnue pour sa force contestataire et sa résistance face à l’autorité. Elle assistera son père Œdipe jusqu’à la fin, avant de se battre, au prix de sa propre vie, pour enterrer son frère Polynice. Revisiter cette histoire en mettant en lumière des enjeux reliés au pouvoir, à l’identité et aux droits humains, voilà le pari que s’est lancé la compagnie La Sentinelle. Durant chacun·e une semaine, Tatiana Zinga Botao, Philippe Racine et Lyndz Dantiste raconteront tour à tour ce récit tragique sous forme de monologue. Ils et elle l’aborderont sous trois angles différents et nous exposeront à des problématiques variées. Il sera notamment question du cycle de la violence, des perspectives entourant la condition féminine, de l’oppression des individus racisés et des liens qu’on peut tisser avec la mort de George Floyd et de Joyce Echaquan, par exemple.

Dans un décor épuré, orné de drapés et de cordes rouges éclairés par 13 petits globes lumineux posés au sol, Tatiana Zinga Botao est la première à frôler les planches du Théâtre Espace Libre. Parcourant la scène avec aisance et confiance, elle va tranquillement prendre place sur le trône qui siège côté cour. Elle devient alors Antigone, cette battante émérite de Thèbes, et nous livre son récit en s’inspirant de la tradition du conte congolais, en ce qui concerne tant l’interprétation que la narration.

© Jules Bédard

Puiser dans l’urgence

C’est avec une force tranquille et une certaine douceur que l’actrice entreprend son long monologue. Des mots tout en puissance tirés entre autres des textes de Sophocle, d’Anouilh et de Brecht, qui ont été assemblés afin de proposer une nouvelle version du mythe qui, par ce collage, prend une autre tournure, davantage axée sur le rapport à l’autorité et au pouvoir. Outre l’héroïne, Zinga Botao incarne aussi par moments d’autres personnages phares de la pièce, tels que sa sœur Ismène et le roi Créon, qu’elle interprète particulièrement bien, en puisant au cœur de ses origines africaines et en faisant preuve d’un bon timing comique.

La comédienne prend bien soin de mordre dans chaque mot pour leur prêter la force qu’ils méritent. Elle nous raconte avec adresse et assurance l’histoire d’Antigone. Toutefois, une plus grande prise de risques aurait été bénéfique en ce qui concerne l’interprétation, qui aurait pu être ponctuée de plus de nuances, malgré la distance critique qui était souhaitée pour aborder l’œuvre. On aurait aimé entrevoir davantage d’ardeur chez Antigone, et éprouver ainsi encore plus l’ampleur de sa volonté. La bataille qu’elle mène est viscérale, elle résonne au plus profond d’elle-même puisqu’il est question de ses valeurs et de sa famille. On perçoit bien une certaine urgence grâce à la trame sonore, mais il aurait été d’autant plus opportun de l’exprimer davantage, en s’accordant plus de liberté dans le jeu. Avec le courage et la détermination qui l’habitent, cette héroïne résiste aux désirs de la royauté et convainc Ismène de la suivre. Elle ne peut avoir, lorsqu’elle plaide auprès de sa sœur, le même ton ni le même débit que Créon, à qui elle s’oppose fièrement. Or, la protagoniste semble toujours en contrôle de ses émotions et, bien qu’on ressente une certaine urgence de dire dans son discours, elle demeure plutôt polie. On aurait pris un brin de chaos au cœur de cette trame narrative un peu trop lisse pour être tragique.

Par ailleurs, Qui veut la peau d’Antigone ? se veut somme toute une proposition réussie. Il faut saluer le travail de La Sentinelle qui offre une adaptation originale d’une tragédie grecque connue. Se commettre seul∙e sur scène revêt toujours sa part de risques et Tatiana Zinga Botao a bien mis la table pour les prochaines représentations.

© Jules Bédard

Qui veut la peau d’Antigone ?

Texte : La Sentinelle d’après Sophocle, Jean Anouilh et Bertolt Brecht. Mise en scène : La Sentinelle. Assistance à la mise en scène : Delphine Rochefort. Dramaturgie : Philippe Racine. Direction de production : Erika Maheu-Chapman. Concepteurs et conceptrices : Ange Blédja, Valérie Bourque, Philippe Racine, Sarah-Judith Hinse Paré. Collaboration : Olivia Palacci, Xavier Huard. Avec Tatiana Zinga Botao, Philippe Racine et Lyndz Dantiste. Une production de La Sentinelle, présentée à Espace Libre jusqu’au 25 septembre 2021.