La pause économique dont nous sortons lentement nous aura-t-elle permis de réfléchir à nos habitudes de consommation et de les repenser un tant soit peu ? Rien n’est moins sûr. Nous sommes plus que jamais téléguidé·es à acheter de façon compulsive, à nous procurer des articles dont nous n’avons pas vraiment besoin. Avec sa nouvelle comédie mordante, présentée en ce moment à La Licorne, Simon Boudreault, après Sauce brune, As is (tel quel), D pour Dieu ? et Soupers, entre autres, nous invite à pousser la réflexion plus loin. Il s’attaque à l’omniprésence du marketing dans toutes les sphères de notre société jusqu’à se demander si nous ne tentons pas, inconsciemment ou non, de nous mettre en marché nous-mêmes pour répondre aux diktats de l’offre et de la demande et à la perception qu’ont les autres de notre propre image. L’œuvre ratisse large tant les thèmes abordés sont diversifiés : appropriation culturelle, sexisme, racisme, injustice sociale etc.
Pour aborder avec acuité le phénomène du faux qui gangrène notre société, l’auteur et metteur en scène a placé l’action de sa toute dernière création au cœur d’une firme de marketing très branchée. Question d’être encore plus tendance et de se donner bonne conscience, Jeff, l’exubérant président de la boîte, engage Jihane, une immigrante marocaine, musulmane, voilée. Cette dernière affiche ostensiblement sa foi pour être plus visible, dans le seul but de décrocher un emploi. Coordinatrice stratégique, Jihane, aussi talentueuse que rusée, sait bien mettre à profit sa formation d’anthropologue.
Jeff utilise donc sans vergogne les techniques de mise en marché inusitées de son nouveau bras droit pour reconquérir Alexandre Beauchemin, un entrepreneur bon chic, bon genre et ancien amant. Les deux autres principaux membres du personnel de l’entreprise, Sébas, le besogneux qui rêve en silence d’avancement, et Marie-Julie, la souffre-douleur un peu naïve, assistent, médusé·es, à la fulgurante ascension de la petite nouvelle. Toutefois, un incident imprévu survient : une blague douteuse, lâchée avec désinvolture par le tout puissant Alexandre, lors d’une émission de télévision fort courue, déclenche une violente tempête médiatique. Jeff et son équipe viennent à la rescousse de l’homme d’affaires pour tenter de renverser la vapeur et de lui éviter le naufrage, sans cependant réussir à esquiver plusieurs écueils…
Bien emballé
Cinq écrans sur lesquels sont projetés slogans, bandeaux publicitaires et clichés de réseaux sociaux servent de toile de fond et de transitions aux actions qui se déroulent à l’avant-plan, au sein de l’entreprise de communication ou sur le plateau de télévision. Un ensemble de tables et de tabourets sur roulettes constituent l’essentiel du mobilier nécessaire à créer les lieux de cogitation et la salle de présentation où germent les idées et s’affinent les stratégies.
Dans cet espace habilement polyvalent, les protagonistes défendent leur image avec sagacité grâce à une distribution qui a beaucoup d’aplomb. Houda Rihani, dans le rôle de la musulmane faussement voilée, est d’une perspicacité qui n’a d’égal que sa crédibilité. Louis-Olivier Mauffette nous offre un Alexandre à l’ambition démesurée dont le sourire carnassier suffit à nous convaincre de son appétit insatiable. Alexandre Daneau et Catherine Ruel nous présentent des subalternes plausibles, quelque peu dépassé·es par les événements mais aussi victimes d’un système tordu qui pousse à se mentir à soi-même. À la tête de ce trio, et avec beaucoup de panache, règne Jeff, incarné par un Éric Bernier survolté. L’acteur réussit avec une aisance déconcertante à nous faire accepter cet être imbuvable, narcissique, manipulateur et parfois un peu fragile. Ces répliques assassines, mais aussi souvent drôles à mourir, accentuées par un jeu physique précis et énergique, font mouche à tout coup. À elles seules, ses allées et venues en trottinette alors qu’il hurle recommandations et idées saugrenues à son groupe de stratèges, valent le détour.
Ce nouvel opus de Simoniaques Théâtre se termine toutefois de façon abrupte avec une scène aux allures de message publicitaire : un brin prévisible et plus ou moins crédible. Mais peut-être est-ce là un dernier clin d’œil de Simon Boudreault à ce consumérisme débridé qu’il dénonce ici avec beaucoup d’humour et de férocité.
Texte et mise en scène : Simon Boudreault. Assistante à la mise en scène : Marilou Huberdeau. Décor : Richard Lacroix. Costumes : Suzanne Harel. Éclairages : André Rioux. Musique : Michel F. Côté. Vidéo : Robin Kittel-Ouimet. Avec Éric Bernier, Alexandre Daneau, Louis-Olivier Mauffette, Houda Rihani et Catherine Ruel. Une production de Simoniaques Théâtre en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 18 décembre 2021.
La pause économique dont nous sortons lentement nous aura-t-elle permis de réfléchir à nos habitudes de consommation et de les repenser un tant soit peu ? Rien n’est moins sûr. Nous sommes plus que jamais téléguidé·es à acheter de façon compulsive, à nous procurer des articles dont nous n’avons pas vraiment besoin. Avec sa nouvelle comédie mordante, présentée en ce moment à La Licorne, Simon Boudreault, après Sauce brune, As is (tel quel), D pour Dieu ? et Soupers, entre autres, nous invite à pousser la réflexion plus loin. Il s’attaque à l’omniprésence du marketing dans toutes les sphères de notre société jusqu’à se demander si nous ne tentons pas, inconsciemment ou non, de nous mettre en marché nous-mêmes pour répondre aux diktats de l’offre et de la demande et à la perception qu’ont les autres de notre propre image. L’œuvre ratisse large tant les thèmes abordés sont diversifiés : appropriation culturelle, sexisme, racisme, injustice sociale etc.
Pour aborder avec acuité le phénomène du faux qui gangrène notre société, l’auteur et metteur en scène a placé l’action de sa toute dernière création au cœur d’une firme de marketing très branchée. Question d’être encore plus tendance et de se donner bonne conscience, Jeff, l’exubérant président de la boîte, engage Jihane, une immigrante marocaine, musulmane, voilée. Cette dernière affiche ostensiblement sa foi pour être plus visible, dans le seul but de décrocher un emploi. Coordinatrice stratégique, Jihane, aussi talentueuse que rusée, sait bien mettre à profit sa formation d’anthropologue.
Jeff utilise donc sans vergogne les techniques de mise en marché inusitées de son nouveau bras droit pour reconquérir Alexandre Beauchemin, un entrepreneur bon chic, bon genre et ancien amant. Les deux autres principaux membres du personnel de l’entreprise, Sébas, le besogneux qui rêve en silence d’avancement, et Marie-Julie, la souffre-douleur un peu naïve, assistent, médusé·es, à la fulgurante ascension de la petite nouvelle. Toutefois, un incident imprévu survient : une blague douteuse, lâchée avec désinvolture par le tout puissant Alexandre, lors d’une émission de télévision fort courue, déclenche une violente tempête médiatique. Jeff et son équipe viennent à la rescousse de l’homme d’affaires pour tenter de renverser la vapeur et de lui éviter le naufrage, sans cependant réussir à esquiver plusieurs écueils…
Bien emballé
Cinq écrans sur lesquels sont projetés slogans, bandeaux publicitaires et clichés de réseaux sociaux servent de toile de fond et de transitions aux actions qui se déroulent à l’avant-plan, au sein de l’entreprise de communication ou sur le plateau de télévision. Un ensemble de tables et de tabourets sur roulettes constituent l’essentiel du mobilier nécessaire à créer les lieux de cogitation et la salle de présentation où germent les idées et s’affinent les stratégies.
Dans cet espace habilement polyvalent, les protagonistes défendent leur image avec sagacité grâce à une distribution qui a beaucoup d’aplomb. Houda Rihani, dans le rôle de la musulmane faussement voilée, est d’une perspicacité qui n’a d’égal que sa crédibilité. Louis-Olivier Mauffette nous offre un Alexandre à l’ambition démesurée dont le sourire carnassier suffit à nous convaincre de son appétit insatiable. Alexandre Daneau et Catherine Ruel nous présentent des subalternes plausibles, quelque peu dépassé·es par les événements mais aussi victimes d’un système tordu qui pousse à se mentir à soi-même. À la tête de ce trio, et avec beaucoup de panache, règne Jeff, incarné par un Éric Bernier survolté. L’acteur réussit avec une aisance déconcertante à nous faire accepter cet être imbuvable, narcissique, manipulateur et parfois un peu fragile. Ces répliques assassines, mais aussi souvent drôles à mourir, accentuées par un jeu physique précis et énergique, font mouche à tout coup. À elles seules, ses allées et venues en trottinette alors qu’il hurle recommandations et idées saugrenues à son groupe de stratèges, valent le détour.
Ce nouvel opus de Simoniaques Théâtre se termine toutefois de façon abrupte avec une scène aux allures de message publicitaire : un brin prévisible et plus ou moins crédible. Mais peut-être est-ce là un dernier clin d’œil de Simon Boudreault à ce consumérisme débridé qu’il dénonce ici avec beaucoup d’humour et de férocité.
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Texte et mise en scène : Simon Boudreault. Assistante à la mise en scène : Marilou Huberdeau. Décor : Richard Lacroix. Costumes : Suzanne Harel. Éclairages : André Rioux. Musique : Michel F. Côté. Vidéo : Robin Kittel-Ouimet. Avec Éric Bernier, Alexandre Daneau, Louis-Olivier Mauffette, Houda Rihani et Catherine Ruel. Une production de Simoniaques Théâtre en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 18 décembre 2021.