Critiques

Le Sexe des pigeons : Manifeste pour l’espoir

© Éva-Maude TC

La salle dans laquelle on assiste à la pièce Le Sexe des pigeons n’a ni sièges ni scène. On incite les spectateurs et les spectatrices à garder leurs téléphones allumés, car ceux-ci les accompagneront pendant la représentation. Dans une demi-obscurité, on aperçoit une chambre désordonnée, une baignoire et une aire de planche à roulettes. Ces décors, éloignés les uns des autres, servent de podiums à trois personnages happés par leurs appareils mobiles. Tout autour, de grands écrans projettent des vidéos, des photographies ou de brefs commentaires écrits, représentation du quotidien banal d’adolescent·es sur un réseau social. Lorsque le public se branche à ce circuit fictif, cela fait office de lever de rideau.  

À tour de rôle, Léo, Billy et Déreck se racontent. Elles et il fréquentent la même école, mais se connaissent à peine de vue. La première rêve d’une société savante où les filles n’auraient pas à être sages ou ingénues pour qu’on les admire. La seconde se questionne sur le bonheur et voudrait briser le silence pour ne plus se faire ignorer. Le troisième, nouveau venu quelque peu malhabile, échoue à s’intégrer parmi ses pairs. 

Le sexe des pigeons par Eva-Maude TC 2. La salle dans laquelle on assiste à la pièce Le Sexe des pigeons n’a ni sièges ni scène.Eva-Maude TC

Un désordre mesuré

Parallèlement à ces monologues, diverses publications, qui font écho aux doléances des élèves, apparaissent sur les portables. Cette première partie du spectacle est convenue et laisse sur sa faim. Or, l’ambiance change radicalement lorsqu’une alarme sonne de toute part, sur les téléphones des personnages, sur ceux du public et sur les écrans. L’école doit être évacuée, apprend-on. Aussitôt, deux grands rideaux, mais de vrais cette fois-ci, traversent la salle et séparent l’espace en trois.

À ce moment, on recommande à l’auditoire de circuler d’un· e protagoniste à l’autre et d’un écran à l’autre. Les adolescent·es excité·es par la situation parlent tous et toutes en même temps. Bien que partiellement isolés par d’épais tissus noirs, ces monologues simultanés engendrent un réel chaos. Et c’est là que le spectacle s’illumine et prend forme. La mise en scène, à l’image de ce que ressentent les personnages, nous fait vivre une confusion enivrante. On se sait plus qui écouter, où regarder. On déambule avec la fervente volonté de suivre l’histoire, mélangée à la crainte de perdre quelques passages d’importance. Les téléphones, qui servaient jusqu’alors de toile de fond au récit, deviennent un chœur, offrant une nouvelle dimension dramaturgique à l’œuvre. Le texte, adroitement ficelé, rétablit une cohésion narrative en croisant d’abord les parcours des trois élèves et de leur communauté, mais aussi en les obligeant à se dépasser. Billy sortira de son anonymat complaisant, Léo passera de la parole à l’acte alors que Déreck s’ouvrira aux autres et se débarrassera de ses idées reçues.

À travers ce projet, les idéatrices et metteuses en scène Gabrielle Côté et Laurence Régnier ont voulu décortiquer les espaces virtuels où les adolescent·es s’expriment et s’exposent. La forme, quant à elle, déconstruit la conception traditionnelle du théâtre en s’immisçant et en nous invitant dans l’univers des réseaux sociaux. La magie opère, en partie parce que les auteur·es, Frédéric Blanchette, Véronique Côté et Marianne Dansereau, proposent une histoire captivante pour un jeune public. Les dialogues sont réalistes et riches avec, au cœur du propos, la solidarité et l’actualisation de soi comme réponse à un monde crépusculaire. Or, la production mise sur l’optimisme plutôt que la fatalité. Elle permet de concevoir que l’expression, la mobilisation et l’union provoquent des changements positifs et améliorent le destin collectif. 

Le Sexe des pigeons

Texte : Frédéric Blanchette, Véronique Côté et Marianne Dansereau. Mise en scène et idéation : Gabrielle Côté et Laurence Régnier. Direction de production et assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau. Scénographie : Marie-Ève Fortier. Costumes : Leïlah Dufour-Forget. Éclairages :  Renaud Pettigrew. Assistance à la conception des éclairages : Tristan-Olivier Breiding. Direction technique : Guillaume Lafontaine-Moisan. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Assistance à la conception sonore : Rémi Hermoso. Conception vidéo : Julien Blais. Assistance à la conception vidéo : Zachary Noël-Ferland. Conception du contenu réseau social : Lorie Gilbert et Tamara Manny-D’astous. Développement de la plateforme numérique : Marc-Antoine Jacques, David Mongeau-Petitpas et Nicolas Roy. Une production du Théâtre du Fol Espoir, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 avril 2022.