Dès les premiers instants de son installation sur la scène de la Maison Théâtre, l’homme de théâtre burkinabé Étienne Minoungou annonce à son public que l’heure est à la réjouissance et même au soulagement. La parole est enfin reprise par un représentant du peuple africain. Et cette voix, nous promet-il, le prophétique narrateur entend bien se l’approprier, question de défendre les sien·nes, ancêtres bafoué·es, frères et sœurs humilié·es, terres exploitées. Les clés de ce texte phare de Felwine Sarr se dévoilent sans tarder comme un plaidoyer en faveur de la fierté et de la dignité panafricaines, alors que l’imposant acteur énumère les cultures au nom desquels il parle.
Traces – Discours aux Nation Africaines est un manifeste pour un avenir africain où les sévices du colonialisme seraient enfin reconnus, interrompus puis réparés par la force et l’intégrité. Cela se matérialiserait par la renaissance d’un peuple qui retrouverait qui et ce qu’il est, dans toute sa plénitude, son honneur, son intelligence.
Avec à ses côtés le joueur de kora Simon Winsé, qui enveloppe l’atmosphère d’une divine et douce musique, Étienne Minoungou livre avec bienveillance, humour et autorité ce texte qui n’est pas sans interpeller le public. À la manière d’un conte moderne sur l’odyssée d’un exilé africain forcé de quitter sa terre natale pour trouver une vie, une occupation, un sens ailleurs.
Le dépouillement
Il y a quand même quelque chose de doux-amer, à se retrouver, spectateurs et spectatrices du « Nord Global », devant ce courageux discours en faveur de la restauration d’un continent si affligé par les épidémies, les changements climatiques, les guerres, le despotisme, le terrorisme.
En rendant hommage au meilleur de l’Afrique – Nelson Mandela, Thomas Sankara… – Felwine Sarr, à travers la voix de Minoungou, offre une version d’un afrofuturisme qui serait à échelle humaine, une posture plus spirituelle que technologique ou dominatrice, pour une éthique identitaire qui inviterait à outrepasser la phase des oppressions et à s’élever comme une civilisation réinventée, réincarnée et enfin libre.
On ne saurait imaginer meilleur locuteur que ce comédien pour rendre avec autant de conviction ce manifeste qui convoque autant le discours critique des fondements des inégalités Nord-Sud que l’exquise contemplation philosophique de la mythologie africaine. Doté d’une présence électrisante, Minoungou sait envoûter le public de sa voix veloutée et avec une appropriation de ce texte qui, avant tout, s’adresse à la jeunesse africaine. Véritables survivant·es de plusieurs siècles de destruction, ces jeunes sont invité·es à croire à des jours où l’exil ne sera plus une voie de sortie obligée pour les habitant·es de l’Afrique et où les natifs et natives de ce berceau de l’humanité ne seront plus vu·es comme des êtres malades et condamné·es à une vie de misère et à une mort trop hâtive.
Avec cette pièce, qui s’inscrit vraiment dans la conception de l’Afropea – tel que l’a défini l’autrice Léonora Miano – le Festival TransAmériques offre à entendre une voix nouvelle, politique et poétique, qui entremêle les pensées africaine et européenne, qui défend un idéal de société fraternel, anti-impérialiste et antiraciste. On entend aussi les échos du concept d’orientalisme, développé par le philosophe palestino-américain Edward Saïd, dans la manière dont Felwinn Sarr déboulonne le concept d’étrangeté, d’altérité. Ce faisant, celui-ci s’appuie sur cette division erronée du monde pour rappeler comme une conception de la réalité qui sépare et réifie a divisé les êtres humains de notre planète tout en permettant la création d’une classe d’individus – ceux du Sud, en général – qui seraient ni plus, ni moins « jetables ». Cette vision extractive de l’Afrique, dépeint Felwin Sarr, est à l’origine des fondements d’un globalisme mondial qui court à sa perte, si le droit de rêver, d’imaginer, d’inventer devient l’apanage d’un cercle d’humain·es de plus en plus restreint.
Cet esprit de restauration, de communion, de réelle rencontre se manifeste d’ailleurs par les interactions avec le public, qui était réceptif et vif à donner la réplique à Minoungou, complétant parfois ses phrases ou répondant à ses interpellations. On renoue vraiment avec un esprit de dialogue, d’échanges et d’intention d’en finir avec les débalancements de pouvoir dans cet écrin tout en dépouillement et en simplicité, mais riche par la beauté de sa langue, la finesse de son esprit et son potentiel de nous faire rêver à un monde plus paisible et fortifié par son sincère désir d’en finir avec une avidité jamais assouvie.
Un spectacle qui invite à la méditation, à l’introspection, à l’humilité et à rêver, dans un esprit de guérison, d’inclusion, de fraternité, de solidarité. On a presque le goût d’y croire, à ce monde global meilleur que nous propose Felwin Sarr.
Texte : Felwinn Sarr. Mise en scène : Étienne Minoungou. Regard extérieur : Aristide Tarnagda. Lumières : Rémy Brans. Musique : Simon Winsé. Avec Étienne Minoungou et Simon Winsé. Production déléguée et diffusion : La Charge du Rhinocéros. Une production du Théâtre de Namur, en coproduction avec le Festival Les Récréâtrales (Ouagadougou), présentée en association avec la Maison Théâtre et le support de Wallonie-Bruxelles International à la Maison Théâtre, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 5 juin 2022.
Dès les premiers instants de son installation sur la scène de la Maison Théâtre, l’homme de théâtre burkinabé Étienne Minoungou annonce à son public que l’heure est à la réjouissance et même au soulagement. La parole est enfin reprise par un représentant du peuple africain. Et cette voix, nous promet-il, le prophétique narrateur entend bien se l’approprier, question de défendre les sien·nes, ancêtres bafoué·es, frères et sœurs humilié·es, terres exploitées. Les clés de ce texte phare de Felwine Sarr se dévoilent sans tarder comme un plaidoyer en faveur de la fierté et de la dignité panafricaines, alors que l’imposant acteur énumère les cultures au nom desquels il parle.
Traces – Discours aux Nation Africaines est un manifeste pour un avenir africain où les sévices du colonialisme seraient enfin reconnus, interrompus puis réparés par la force et l’intégrité. Cela se matérialiserait par la renaissance d’un peuple qui retrouverait qui et ce qu’il est, dans toute sa plénitude, son honneur, son intelligence.
Avec à ses côtés le joueur de kora Simon Winsé, qui enveloppe l’atmosphère d’une divine et douce musique, Étienne Minoungou livre avec bienveillance, humour et autorité ce texte qui n’est pas sans interpeller le public. À la manière d’un conte moderne sur l’odyssée d’un exilé africain forcé de quitter sa terre natale pour trouver une vie, une occupation, un sens ailleurs.
Le dépouillement
Il y a quand même quelque chose de doux-amer, à se retrouver, spectateurs et spectatrices du « Nord Global », devant ce courageux discours en faveur de la restauration d’un continent si affligé par les épidémies, les changements climatiques, les guerres, le despotisme, le terrorisme.
En rendant hommage au meilleur de l’Afrique – Nelson Mandela, Thomas Sankara… – Felwine Sarr, à travers la voix de Minoungou, offre une version d’un afrofuturisme qui serait à échelle humaine, une posture plus spirituelle que technologique ou dominatrice, pour une éthique identitaire qui inviterait à outrepasser la phase des oppressions et à s’élever comme une civilisation réinventée, réincarnée et enfin libre.
On ne saurait imaginer meilleur locuteur que ce comédien pour rendre avec autant de conviction ce manifeste qui convoque autant le discours critique des fondements des inégalités Nord-Sud que l’exquise contemplation philosophique de la mythologie africaine. Doté d’une présence électrisante, Minoungou sait envoûter le public de sa voix veloutée et avec une appropriation de ce texte qui, avant tout, s’adresse à la jeunesse africaine. Véritables survivant·es de plusieurs siècles de destruction, ces jeunes sont invité·es à croire à des jours où l’exil ne sera plus une voie de sortie obligée pour les habitant·es de l’Afrique et où les natifs et natives de ce berceau de l’humanité ne seront plus vu·es comme des êtres malades et condamné·es à une vie de misère et à une mort trop hâtive.
Avec cette pièce, qui s’inscrit vraiment dans la conception de l’Afropea – tel que l’a défini l’autrice Léonora Miano – le Festival TransAmériques offre à entendre une voix nouvelle, politique et poétique, qui entremêle les pensées africaine et européenne, qui défend un idéal de société fraternel, anti-impérialiste et antiraciste. On entend aussi les échos du concept d’orientalisme, développé par le philosophe palestino-américain Edward Saïd, dans la manière dont Felwinn Sarr déboulonne le concept d’étrangeté, d’altérité. Ce faisant, celui-ci s’appuie sur cette division erronée du monde pour rappeler comme une conception de la réalité qui sépare et réifie a divisé les êtres humains de notre planète tout en permettant la création d’une classe d’individus – ceux du Sud, en général – qui seraient ni plus, ni moins « jetables ». Cette vision extractive de l’Afrique, dépeint Felwin Sarr, est à l’origine des fondements d’un globalisme mondial qui court à sa perte, si le droit de rêver, d’imaginer, d’inventer devient l’apanage d’un cercle d’humain·es de plus en plus restreint.
Cet esprit de restauration, de communion, de réelle rencontre se manifeste d’ailleurs par les interactions avec le public, qui était réceptif et vif à donner la réplique à Minoungou, complétant parfois ses phrases ou répondant à ses interpellations. On renoue vraiment avec un esprit de dialogue, d’échanges et d’intention d’en finir avec les débalancements de pouvoir dans cet écrin tout en dépouillement et en simplicité, mais riche par la beauté de sa langue, la finesse de son esprit et son potentiel de nous faire rêver à un monde plus paisible et fortifié par son sincère désir d’en finir avec une avidité jamais assouvie.
Un spectacle qui invite à la méditation, à l’introspection, à l’humilité et à rêver, dans un esprit de guérison, d’inclusion, de fraternité, de solidarité. On a presque le goût d’y croire, à ce monde global meilleur que nous propose Felwin Sarr.
Traces – Discours aux Nations Africaines
Texte : Felwinn Sarr. Mise en scène : Étienne Minoungou. Regard extérieur : Aristide Tarnagda. Lumières : Rémy Brans. Musique : Simon Winsé. Avec Étienne Minoungou et Simon Winsé. Production déléguée et diffusion : La Charge du Rhinocéros. Une production du Théâtre de Namur, en coproduction avec le Festival Les Récréâtrales (Ouagadougou), présentée en association avec la Maison Théâtre et le support de Wallonie-Bruxelles International à la Maison Théâtre, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 5 juin 2022.