Trois actes, un soir d’orage et une authentique table d’autopsie. Le dernier spectacle de la saison du Quat’Sous éclot dans un terreau narratif fertile, celui de la vie de Mary Shelley à laquelle se mêle l’œuvre de sa génitrice, Mary Wollstonecraft, et sa propre création, le légendaire Frankenstein ou le Prométhée moderne. Campée dans un trop proche futur dystopique, cette flamboyante collaboration de Sarah Berthiaume et d’Édith Patenaude parvient sans peine à actualiser les figures historiques de Shelley et de Wollstonecraft dans une atmosphère électrique digne du fameux roman d’horreur.
Romancière malmenée et en panne d’inspiration, Marie tente d’avoir un enfant avant qu’il ne soit trop tard et subit des fausses-couches à répétition, dont elle conserve les produits au congélateur. Son conjoint Perceval, plein de bonne volonté, est un poète acclamé qui manie l’algorithme avec brio. Leur amie Claire, ancienne comédienne recyclée en cadre chez Tupperware, installe chez Marie et Perceval une très bruyante imprimante 3D, machine infernale dont la présence insupportable, conjuguée à la tension entre les trois personnages et leurs situations en porte-à-faux, mettra le feu aux poudres.
Cette ambitieuse tragi-comédie porte un foisonnement de thèmes s’étendant de la genèse artistique et biologique jusqu’à la mort de l’espèce en passant par le deuil sous toutes ses facettes. Elle propose une réflexion ouverte sur la création et plus largement l’art, ainsi que sur le rôle et le statut de l’artiste, sa représentation face au public et à la critique. En leitmotiv revient la question de la pureté que confère sa pratique à l’artiste, à laquelle s’intègre un questionnement nuancé sur le féminisme – la maternité, le pouvoir, l’inégalité sociale.
La notion du Prométhée moderne se prête particulièrement bien à envisager le transhumanisme, le post-humanisme et, par la bande, l’humanité proprement dite. Cette dernière fait d’ailleurs piètre figure quand elle est examinée à l’aune du système médical et des consultations glaçantes que fait subir la clinique de fertilité à Marie, de plus en plus écorchée vive. Et dans cette vision d’anticipation où tout ressemble à maintenant, mais en pire, l’avenir de notre planète laisse peu de place à la conjecture.
Créateur et créature
Les trois comédien·nes, à la présence scénique individuelle distincte et magnétique, interprètent avec justesse et nuance le texte riche, aux accents tantôt gothiques, tantôt comiques, parsemé d’évocations aux robots conversationnels. La communication y est explorée sous ses formes anciennes et modernes : conversation épistolaire, l’appel en visioconférence, narration et causerie adressée au public. Notamment, le personnage de Claire exhorte régulièrement ses « directrices Élite » à donner le meilleur d’elles-même dans des réquisitoires enflammés dignes d’une pasionaria révolutionnaire. Son discours orwellien conjugue écoblanchiment et féminisme de façade dans une démonstration éclatante des moyens employés par le discours capitaliste pour enjôler et convaincre. Véritable foudre d’éloquence, elle fait du plastique une ressource naturelle et d’accidentées du travail des martyres pour la cause.
L’esthétique rétro-apocalyptique dans laquelle baigne toute la pièce, des costumes au décor en passant par la conception sonore, se déploie autour d’une table d’autopsie qui fait figure d’îlot de cuisine. Dans la scénographie de Claire Renaud, on apprécie le malin plaisir pris à grossir les références visuelles, notamment les allusions gynécologiques et les clins d’œil à la créature de Frankenstein.
À l’instar de notre époque, et, s’il faut en croire les créatrices du spectacle, de celle que nous vivrons bientôt, Wollstonecraft n’est pas tendre avec son public. Par notre déresponsabilisation, qui nous est soulignée fréquemment (« …ce n’est pas de ma faute… »), nous portons le germe de notre propre fin, si tant est que « notre création nous corrompt ». Mais sans doute avons-nous besoin d’être un peu bousculé·es de temps à autre, ne serait-ce que pour envisager cette ambiguïté qui caractérise notre espèce : si nous aspirons à plus d’humanité dans les rapports entre les êtres, ne nous arrive-t-il pas pourtant de souhaiter que les humains ressemblent un peu plus aux machines ?
Texte : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Édith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand. Décor : Claire Renaud. Accessoires : Karine Cusson. Costumes : Cynthia St-Gelais. Lumière : Marie-Aube St-Amant Duplessis. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Régie : Josianne Dulong-Savignac. Régie son : Joannie Vignola. Maquillage et coiffure : Justine Denoncourt-Bélanger. Direction technique de création : Joanne Vézina. Direction de production : Gwenaëlle L’Heureux-Devinat. Avec Ariane Castellanos, Jean-Christophe Leblanc et Ève Pressault. Une création du Théâtre de Quat’Sous, présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 13 mai 2023.
Trois actes, un soir d’orage et une authentique table d’autopsie. Le dernier spectacle de la saison du Quat’Sous éclot dans un terreau narratif fertile, celui de la vie de Mary Shelley à laquelle se mêle l’œuvre de sa génitrice, Mary Wollstonecraft, et sa propre création, le légendaire Frankenstein ou le Prométhée moderne. Campée dans un trop proche futur dystopique, cette flamboyante collaboration de Sarah Berthiaume et d’Édith Patenaude parvient sans peine à actualiser les figures historiques de Shelley et de Wollstonecraft dans une atmosphère électrique digne du fameux roman d’horreur.
Romancière malmenée et en panne d’inspiration, Marie tente d’avoir un enfant avant qu’il ne soit trop tard et subit des fausses-couches à répétition, dont elle conserve les produits au congélateur. Son conjoint Perceval, plein de bonne volonté, est un poète acclamé qui manie l’algorithme avec brio. Leur amie Claire, ancienne comédienne recyclée en cadre chez Tupperware, installe chez Marie et Perceval une très bruyante imprimante 3D, machine infernale dont la présence insupportable, conjuguée à la tension entre les trois personnages et leurs situations en porte-à-faux, mettra le feu aux poudres.
Cette ambitieuse tragi-comédie porte un foisonnement de thèmes s’étendant de la genèse artistique et biologique jusqu’à la mort de l’espèce en passant par le deuil sous toutes ses facettes. Elle propose une réflexion ouverte sur la création et plus largement l’art, ainsi que sur le rôle et le statut de l’artiste, sa représentation face au public et à la critique. En leitmotiv revient la question de la pureté que confère sa pratique à l’artiste, à laquelle s’intègre un questionnement nuancé sur le féminisme – la maternité, le pouvoir, l’inégalité sociale.
La notion du Prométhée moderne se prête particulièrement bien à envisager le transhumanisme, le post-humanisme et, par la bande, l’humanité proprement dite. Cette dernière fait d’ailleurs piètre figure quand elle est examinée à l’aune du système médical et des consultations glaçantes que fait subir la clinique de fertilité à Marie, de plus en plus écorchée vive. Et dans cette vision d’anticipation où tout ressemble à maintenant, mais en pire, l’avenir de notre planète laisse peu de place à la conjecture.
Créateur et créature
Les trois comédien·nes, à la présence scénique individuelle distincte et magnétique, interprètent avec justesse et nuance le texte riche, aux accents tantôt gothiques, tantôt comiques, parsemé d’évocations aux robots conversationnels. La communication y est explorée sous ses formes anciennes et modernes : conversation épistolaire, l’appel en visioconférence, narration et causerie adressée au public. Notamment, le personnage de Claire exhorte régulièrement ses « directrices Élite » à donner le meilleur d’elles-même dans des réquisitoires enflammés dignes d’une pasionaria révolutionnaire. Son discours orwellien conjugue écoblanchiment et féminisme de façade dans une démonstration éclatante des moyens employés par le discours capitaliste pour enjôler et convaincre. Véritable foudre d’éloquence, elle fait du plastique une ressource naturelle et d’accidentées du travail des martyres pour la cause.
L’esthétique rétro-apocalyptique dans laquelle baigne toute la pièce, des costumes au décor en passant par la conception sonore, se déploie autour d’une table d’autopsie qui fait figure d’îlot de cuisine. Dans la scénographie de Claire Renaud, on apprécie le malin plaisir pris à grossir les références visuelles, notamment les allusions gynécologiques et les clins d’œil à la créature de Frankenstein.
À l’instar de notre époque, et, s’il faut en croire les créatrices du spectacle, de celle que nous vivrons bientôt, Wollstonecraft n’est pas tendre avec son public. Par notre déresponsabilisation, qui nous est soulignée fréquemment (« …ce n’est pas de ma faute… »), nous portons le germe de notre propre fin, si tant est que « notre création nous corrompt ». Mais sans doute avons-nous besoin d’être un peu bousculé·es de temps à autre, ne serait-ce que pour envisager cette ambiguïté qui caractérise notre espèce : si nous aspirons à plus d’humanité dans les rapports entre les êtres, ne nous arrive-t-il pas pourtant de souhaiter que les humains ressemblent un peu plus aux machines ?
Wollstonecraft
Texte : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Édith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand. Décor : Claire Renaud. Accessoires : Karine Cusson. Costumes : Cynthia St-Gelais. Lumière : Marie-Aube St-Amant Duplessis. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Régie : Josianne Dulong-Savignac. Régie son : Joannie Vignola. Maquillage et coiffure : Justine Denoncourt-Bélanger. Direction technique de création : Joanne Vézina. Direction de production : Gwenaëlle L’Heureux-Devinat. Avec Ariane Castellanos, Jean-Christophe Leblanc et Ève Pressault. Une création du Théâtre de Quat’Sous, présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 13 mai 2023.