Critiques

Planétarium 2.0 : Là où commence le vertige

Après Tantôt, demain peut-être, théâtre téléphonique pour un auditeur ou une auditrice, voici que le Théâtre Déchaînés poursuit son exploration polymorphe de la rencontre théâtrale avec Planétarium 2.0. Cette fois-ci, nous migrons vers le web. Une première version de Planétarium avait été présentée dans un dispositif différent au Festival Fringe en 2018.

Marie Ayotte, autrice et metteure en scène de cet objet virtuel, propose une construction dynamique et interactive portant sur l’anxiété et l’angoisse, troubles psychiques de plus en plus répandus dans la population, notamment chez les jeunes, et largement sous-estimés. Au fil de ce docu-théâtre en direct, nous serons emporté·es dans l’univers intime de la dramaturge, elle-même aux prises avec cette paralysante maladie.

Théâtre Déchaînés

Les participant·es préinscrit·es (dix au maximum) sont pris·es en charge avec beaucoup de sensibilité. La configuration optimale pour prendre part à cet événement est clairement définie : s’installer seul·e devant son ordinateur, dans la pénombre, avec des écouteurs de qualité, si possible. En ouverture de spectacle, on nous donne les numéros de téléphone d’organismes de soutien en santé mentale. Les participant·es reçoivent un pseudonyme distribué aléatoirement : nous portons des noms d’étoiles. La scène se passe sur un écran principal, espace de jeu pour trois interprètes. Et en bandeau latéral, se déroule un clavardage où nous pouvons intervenir en direct avec l’autrice, intervention facultative, bien sûr. Le dispositif est simple et efficace.

Chacune de chez elle, les trois comédiennes disposent d’une caméra surplombant un plateau de jeu, où elles créent un spectacle vivant. Elles captent et diffusent en direct cette scénographie dynamique qui vient souligner, illustrer, voire commenter le texte qu’elles livrent en simultané. Pendant ce temps, Marie Ayotte anime le clavardage, répond aux intervenant·es qui réagissent aux mots et aux images, qui s’interpellent mutuellement. La posture du public est multiple : être à la fois seul et en collectif, rester en retrait ou intervenir, discuter, critiquer. Seul l’applaudissement n’existe plus, puisque notre micro est fermé.

« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie »

La citation de Blaise Pascal préfigure la première crise d’angoisse de l’autrice ; elle a 8 ans lors de sa première visite au Planétarium de Montréal. Le texte s’amorce avec l’histoire de l’univers, ce fameux Big Bang qui ne cesse de produire de la matière, où se multiplient les corps célestes dans un espace noir sur fond de poussière. Les chiffres astronomiques deviennent les tremplins de notre angoisse lorsque les milliards de galaxies nous invitent à nous fondre dans le néant. Alors que ce mystère pénètre en nous, la conscience interloquée bascule dans le désarroi. Cette angoisse première porte Planétarium 2.0 à provoquer l’implosion de notre cerveau confronté aux questions ontologiques sans réponses. Le texte admirablement construit d’Ayotte suit cette trajectoire. Débutant comme un conte mytho-scientifique, il nous entraîne précisément dans ce cul-de-sac psychique. Tous les pourquoi, toutes les questions reliées à notre destin, à notre finalité, fondement même de la philosophie, trouvent leur exutoire dans la déroute mentale. Inquill, Argolab, Samaya, (pseudonymes de spectateur et spectatrices) s’épanchent dans le clavardage, leurs propos généraux sur l’univers deviennent de plus en plus intimes, passant des réflexions philosophiques aux témoignages personnels, suscités habilement par la construction même du texte.

Théâtre Déchaînés

Les images improvisées en direct par les comédiennes tracent des abstractions, parfois entrecoupées d’un visage, d’une main. La musique numérique, tel un esprit flottant, alimente l’anxiété par son caractère indécis.

Planétarium 2.0 est une plongée dans le magma de l’angoisse. Mais en participant au discours, ce que l’on gagne en dialogue, on le perd en concentration. En effet, il est difficile, voire impossible, d’apprécier pleinement le texte, avec ses subtilités et sa force, et d’entretenir le clavardage. Ici, les idées se chevauchent, les mots répondent à un commentaire déjà disparu, les uns en lien avec le texte, les autres avec les intervenant·es et l’autrice. Et comment voir les images tout en lisant des échanges écrits ? Nous sommes continuellement tiraillé·es entre l’un et l’autre. Une sorte de nœud gordien : participer ou pas ? Le multitâche en action est à l’opposé de la pseudo-passivité du spectateur et de la spectatrice, mais aussi de la quiétude de la méditation. En ce sens, le dispositif web, tout en favorisant l’interaction du public, nourrit le bruit de la toile. Ce bruit-ci, toutefois, a des résonances profondes dans notre conscience. Voici un percutant objet de théâtre en ligne, qui dépasse le simple outil de diffusion. Il s’insinue plutôt dans notre espace intime pour y déposer sinon un outil de guérison, à tout le moins un touchant moment de partage et de générosité.

Planétarium 2.0

Texte et mise en scène : Marie Ayotte. Musique : Janine Fortin. Création vidéo : Andrée-Anne Giguère. Plate-forme web et régie : Pierre Tremblay-Thériault. Avec Émanuelle Caron, Andrée-Anne Giguère et Mélanie Michaud. Une production du Théâtre Déchaînés disponible en ligne jusqu’au 3 décembre 2020. Un dollar par billet vendu est remis à l’organisme Revivre.